Y a-t-il ici quelqu'un qui connaît le Dit de la Terre plate? Non? Alors que je vais en dire quelques mots. Je ne sais plus exactement quand j'ai acheté le deuxième tome, mais sa traduction a été publiée par Presses Pocket en 1988 (je l'ai acquise avant le premier tome!). Dernièrement, je l'ai cherché sur Internet et je n'en ai trouvé aucune trace. Mais je passe il y a quelques jours dans ma librairie préférée, et ô miracle!, je le trouve complètement réédité par les éditions Mnémos.
C'est donc l'histoire de la Terre à l'époque où elle était plate. Il y avait des dieux qui vivaient dans le ciel mais qui étaient bizarres et se moquaient complètement des hommes. Les démons vivaient dessous, dans la cité de Druhim Vanashta, et leur prince s'appelait Ajrarn. Il était libre de s'ébattre parmi les hommes et de leur faire tout le mal qu'il voulait. C'est lui qui est le "héros" du premier livre, "Le maître des ténèbres". Les tomes suivants sont consacrés à d'autres calamités, telles la Mort, incarnée par Uhlumé. A mon avis, c'est avec ce second livre que Tanith Lee est arrivée au sommet de son art. Il a d'ailleurs été récompensé en 1980 par le British Fantasy Award.
Je cite l'introduction de Daniel Walther, dans l'édition de 1988: "Avec Le Maître de la Mort, vous allez entrer dans un univers changeant et coloré, aux dimensions épiques, un univers où vous vous perdrez corps et âme, avec délice... Un flot ininterrompu d'images, un verbe aux résonances superbes vous entraînons au-delà de la réalité, sur les ailes des démons, sur les ailes du vent de la nuit". Louanges exagérées? Que non! Tanith Lee écrit avec un style sublime, d'une richesse inouïe. Voici par exemple comment elle décrit, en une courte phrase, une pauvre maison de paysan: "C'était un trou misérable, et sur un lit rapiécé étaient assis plusieurs jeunes enfants solennels comme des hiboux". Vingt-deux ans après, je continue à la trouver géniale.
Cette Terre abandonnée des dieux, où la vie des simples mortels compte peu, m'a donné une impression générale de crépuscule, mais Tanith Lee émaille son récit de situation cocasses ou délirantes. Je vous en donne une petite idée. Narasen, la reine homosexuelle de Merh, est obligée de s'accoupler avec le cadavre d'un homme mort très jeune, à l'aspect efféminé. Elle engendre Simmu, qui peut prendre au choix l'apparence d'un homme ou d'une femme. Devenu grand, il entreprend de voler aux dieux l'Élixir de Vie, qui confère l'immortalité. Pour cela, il déflore les neuf vierges gardiennes d'un puits où l'élixir est susceptible de tomber. C'est l'une des scènes les plus hilarantes qu'il m'ait été donné de lire. L'une des vierges, Kassafeh, qui n'est pas tout à fait humaine (la couleur de ses yeux varie avec son humeur), choisit de partir avec lui. Ils deviennent les deux premiers immortels de la Terre. Ils le méritent, car ce sont des héros. Mais un troisième individu gagne l'immortalité sans le faire exprès. C'est Yolsippa le Coquin, un bon à rien qui ressent une attirance sexuelle irrésistible pour toute personne bigleuse, homme ou femme.
Bref, vous avez compris que Tanith Lee est l'un des auteurs majeurs de la fantasy.